Il y a 65 ans, les premiers soldats en République Fédérale d’Allemagne étaient intronisés et cela faisait déjà débat. Militarisme ou évidence ? Dans un contexte de guerre froide et seulement dix ans après le terme de la seconde guerre mondiale et donc la démilitarisation du pays, la question de l’armée Allemande n’était pas tranchée. Néanmoins, dans un souci de vouloir former un premier bouclier le plus protecteur possible face à l’ennemi voisin, l’Union Soviétique, les alliés décident de doter la RFA de sa propre armée, en étroite relation avec l’OTAN.
Restreinte par la crise sanitaire, la Bundeswehr fête aujourd’hui en petit comité les soixante-cinq années d’une institution qui a du mal à être considérée en Allemagne, sur le plan international et au sein de laquelle même le trouble règne.
« C’est un paradoxe. L’armée allemande n’a jamais eu autant de responsabilités qu’aujourd’hui et pourtant ceci fait face à l’indifférence de la conscience collective »
Frank-Walter Steinmeier, président fédéral allemand.
Le Président Fédéral Steinmeier a beau appuyer sur la diversité des responsabilités de l’armée allemande, la conscience collective allemande fait preuve d’un profond désintérêt pour celle-ci. Ses 16 000 soldats actuellement sur le terrain en plein combat contre le Covid ne pourront effacer les scandales qui ont tâché l’image de la Bundeswehr. En juillet dernier par exemple, telle une bombe à retardement car le signal d’alarme était lancé depuis 2017, la ministre de la défense allemande Annegret Kramp-Karrenbauer devait rendre des comptes à la nation du commando élite de la Bundeswehr, le KSK, dont certains de ces membres venaient d’être clairement identifiés comme proches de l’extrême droite. Sans avoir réellement dissous ce commando, Annegret Kramp-Karrenbauer avait voulu assoir son autorité, quelques mois après avoir renoncé à être successeur de Angela Merkel et en s’attaquant à un problème auquel l’ancienne ministre de la défense et aujourd’hui présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, avait échoué. Annegret Kramp-Karrenbauer avait alors fermement condamné ces actes et promis une refonte profonde de cette unité d’élite, de la formation à leurs équipements accordés. Hier, dans son discours lors de la journée d’anniversaire de la Bundeswehr, la ministre de la défense a préféré accentuer la profonde tradition démocratique de l’armée, sans pour autant évoquer les cas d’extrême droites. Ceux-ci appartiendraient-ils alors au passé ? Si la Bundeswehr veut polir son image et ses relations avec la société allemande, il est évident qu’un ménage doit être effectué.
« En tant qu’Européens, nous ne pouvons plus nous reposer sur les Etats-Unis pour assurer notre sécurité »,
Franziska Brantner, députée Vert au Bundestag
Alors que Joe Biden vient d’être fraichement élu mais n’est pas encore investi président, la Bundeswehr fête ses 65 ans dans une période de battement, durant laquelle les cartes des alliances militaires vont être redistribuées. L’Allemagne, comme les pays membres de l’OTAN peuvent espérer avec l’arrivée de Biden au pouvoir un nouvel élan pour cette alliance militaire. Néanmoins, le passage de Trump à la maison blanche doit servir de leçon pour l’Union Européenne. Alors que Trump, accusant l’Allemagne de ne pas mettre suffisamment la main à la poche pour l’OTAN, retirait l’été dernier un tiers de ses troupes du territoire allemand, Berlin se retrouvait nez à nez avec sa propre situation plutôt dérangeante pour la première puissance économique européenne : une trop forte dépendance du giron américain sur la question militaire. Cette problématique fait débat en Allemagne. La ministre de la défense allemande l’assume : « en terme de sécurité, l’Allemagne reste dépendante des Etats-Unis ». Au même moment la député Franziska Brantner du parti des Verts qui gagnent du crédit à mesure que les sondages portant sur les prochaines élections parlent en leur faveur, estimait qu’ « en tant qu’Européens, nous ne pouvons plus nous reposer sur les Etats-Unis pour assurer notre sécurité. Ceux qui veulent gouverner l’Allemagne après 2021 ne peuvent pas fuir ce débat difficile sur la politique étrangère et de sécurité de l’Europe. » Plus tempéré, le président fédéral Steinmeier espère avec Biden un renouvellement de l’OTAN mais appuie sur la nécessité pour l’Union Européenne de consolider son autonomie « Pour l’Allemagne, le développement d’une UE capable d’agir dans le domaine de la politique de défense est tout aussi urgent que l’élargissement du pilier européen de l’OTAN. »
« Tant que la politique ne fait pas ce travail, nous ne pourrons pas gagner d’acceptation quant aux interventions militaires à l‘étranger »
Omid Nouripour, député Vert au Bundestag.
Pour un bon nombre de représentants de l’armée allemande, la politique doit également prendre ses responsabilités dans un dialogue dans lequel elle a toujours le dernier mot. La communication politique autour de l’intervention militaire allemande en Afghanistan il y a 10 ans reste dans les têtes des allemands, dont deux-tiers d’entre eux se disent aujourd’hui contre une nouvelle intervention militaire allemande à l’étranger. A l’époque, le gouvernement allemand avait maquillé les évènements qui se déroulaient en Afghanistan. Résultat des courses : soixante Allemands y perdirent la vie et la population se sentit alors trompée. Plutôt que de lancer un débat de fond avec la population sur l’intérêt mais aussi naturellement sur les risques de ces interventions, les parlementaires allemands préfèrent taire le sujet, pour ne pas froisser leurs électeurs. Ce que regrette le député vert Omid Nouripour: « Tant que la politique ne fait pas ce travail, nous ne pourrons pas gagner d’acceptation quant aux interventions militaires à l‘étranger »
Et pourtant, avec ou sans Biden, l’Allemagne devra malheureusement dans l’avenir se poser de nouveau la question d’une éventuelle intervention militaire à l’étranger.
Traduction allemande: Tobias Hoffmann