Institution symbolique du rapprochement franco-allemand, la Brigade Franco-allemande est un acteur central pour l’avenir de la coopération militaire entre les deux nations. Les succès et les manques de la Brigade illustrent parfaitement l’état de la relation entre la Bundeswehr et l’Armée Française, et posent la question fondamentale de « l’armée commune », dans un cadre franco-allemand ou européen, concept utilisé encore fin 2018 par le Président français Emmanuel Macron. 

 Du symbole à la concrétisation 

Créée le 12 janvier 1989 à l’issue du cinquantième sommet franco-allemand de Karlsruhe entre François Mitterrand et Helmut Kohl, la Brigade Franco-Allemande (BFA) symbolise la coopération en matière militaire entre les nations française et allemande. Fondée à la sortie de la Guerre Froide, elle a été pensée comme un signe politique fort, marquant la volonté franco-allemande de constituer une défense européenne. Elle est ainsi subordonnée à l’Eurocorps, corps d’armée regroupant des forces de France, d’Allemagne, du Benelux et de Pologne depuis le 1er octobre 1993. Elle comprend des unités françaises et allemandes, qui servent et combattent côte-à-côte depuis maintenant 30 ans, et est habilitée à intervenir dans n’importe quelle mission de maintien de la paix ou de la sécurité sous couvert de l’ONU, de l’OTAN, de l’Union Européenne ou des états-majors respectifs. La BFA sert donc en quelque sorte de laboratoire d’interopérabilité bilatéral entre les armées françaises et allemandes, mais inscrit majoritairement dans un cadre multilatéral de par sa nature d’utilisation.

Elle a ainsi été déployée en Bosnie et au Kosovo à partir de 1996 dans le cadre de la sécurisation menée par l’OTAN et l’Union Européenne à l’issue de la Guerre de Yougoslavie, en Afghanistan dans le cadre de l’intervention de l’Eurocorps, et, plus récemment, au Mali. 

Mode de fonctionnement et limites

Avec un état-major basé à Müllheim en Allemagne, la BFA, unité binationale, est composée de 5600 hommes, dont environ 60% d’allemands et 40% de français, appartenant respectivement aux armées de terre des deux pays. Son commandement se transmet tous les deux ans entre un commandant français et allemand. Si la communication était initialement faite en français et en allemand, l’anglais est aujourd’hui la langue de référence dans le fonctionnement du la Brigade. Les exercices et déploiements se font sur la base des systèmes de transmission et d’information nationaux respectifs, rendant ainsi une coopération totale impossible. De plus, le cadre législatif des parties allemandes et française est fondé sur les constitutions respectives et les cadres législatifs des deux pays, et les soldats de la Brigade sont subordonnés à leur état-major national. L’exemple du Mali est assez parlant sur ce mode de fonctionnement : Si la BFA a été officiellement déployée sur le sol malien, seuls les éléments français se sont réellement battus dans le cadre de l’opération Barkhane, les soldats allemands de la brigade n’étant présents que dans le cadre de la mission onusienne Minusma, visant à soutenir les institutions politiques maliennes. Les soldats des deux nations, déployés dans le cadre de la BFA, ont donc opérés de manière strictement indépendante, tout en échangeant des informations confidentielles et en s’entraînant à se porter secours mutuellement. Si l’utilisation en tant que tel de la Brigade est une réussite pour la relation franco-allemande, cette expérience malienne montre aussi la limite principale de la Brigade : un manque criant de véritable intégration dans les politiques de sécurités franco-allemandes, et un statut mixte qui l’empêche d’être réellement utilisé.

Perspectives d’avenir : vers un approfondissement ?

La Brigade Franco-Allemande constitue l’illustration parfaite du paradoxe marquant les volontés françaises et allemandes de coopération : elle est une preuve des ambitions des deux nations de marquer leur relation dans une perspective politique, mais met en valeur l’insuffisance des moyens alloués à cette volonté. Si la Brigade se place de plus en plus dans un cadre d’action européen, plusieurs enjeux limitent encore sa véritable éclosion en tant qu’acteur référent de la sécurité européenne et de la projection franco-allemande. Sa sous-utilisation pose notamment question : en effet, son cadre législatif compliqué, son interopérabilité qui n’est pas parfaite ainsi que les contextes diplomatiques très différents entre la France et l’Allemagne rendent une utilisation régulière de la Brigade très difficile. Le manque de moyens alloués à cette interopérabilité constitue une épine conséquente dans le pied d’une volonté d’approfondissement des missions et du rôle de la Brigade. Si elle peut se placer en instrument d’une politique de sécurité européenne, il est aujourd’hui impossible de prévoir un véritable changement d’attitude dans l’Union Européenne par rapport à la question d’une armée commune, notamment avec la recherche d’indépendance relative par rapport à l’OTAN rendue aujourd’hui plus que compliquée dans le cadre du conflit russo-ukrainien. 

La Brigade Franco-Allemande est, encore aujourd’hui et malgré quelques succès relatifs, plus dans un rôle de symbole qu’un véritable instrument politique intégré de la relation franco-allemande. Une véritable volonté politique pourrait transformer cette institution inédite en acteur majeur de la sécurité franco-allemande, mais, à l’image de la majorité des projets de coopération militaires franco-allemands, il est difficile d’en connaître réellement les perspectives tant la volonté commune n’est pas marquée. La situation internationale pourrait cependant faire encore évoluer les positions respectives.