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Entrée dans une nouvelle ère politique en Allemagne ?

Il est toujours difficile de déterminer le point de bascule d’un ordre mondial à un autre. Aux yeux des jeunes générations de France et d’Allemagne, ce moment pouvait être le retour de la guerre en Europe, le départ d’Angela Merkel de la chancellerie allemande, voire la dissolution de l’Assemblée nationale française par Emmanuel Macron à la suite des élections européennes. Tous ces événements sont vus comme le symptôme d’une nouvelle ère politique, ou comme un élément parmi tant d’autres, qui marquent ou entraînent l’installation d’un changement radical qui se fait ressentir depuis plusieurs années dans le monde et en Europe. Le retrait du parti FDP (Freie Demokratische Partei) de la coalition au pouvoir en Allemagne, entraînant la dissolution du parlement allemand et la tenue d’élections anticipées, représentait une transformation supplémentaire dans la géopolitique européenne. Cette annonce se faisait le même jour où Donald Trump fut élu pour la deuxième fois en tant que président des États-Unis.

S’il est difficile de savoir quel élément a marqué le passage de l’ancien vers le nouveau monde, différencier les symptômes des conséquences peut également s’avérer complexe et subjectif. Il est cependant certain que les structures étatiques et la reconstruction européenne sont le résultat quasi direct de l’après-guerre et des traumatismes qu’elle a entraînés : la démilitarisation de l’Allemagne en étant un marqueur central.

La France et l’Allemagne doivent faire face depuis plusieurs années maintenant à une forte montée des extrêmes, à un euroscepticisme grandissant, aux risques qu’engendre le dérèglement climatique. Ces divers défis n’auront cependant pas occasionné un changement de politique aussi radical que la remise en question de l’alliance transatlantique causée par l’administration Donald Trump 2. Cette administration, bien plus radicale que celle que nous avions connue entre 2016 et 2020, remet en cause les relations entre les États-Unis et l’ancien continent en vigueur depuis plus d’un demi-siècle. C’est ce que démontre indéniablement une loi votée au parlement allemand le mardi 18 mars 2025. En ce jour, le Bundestag tournait une page de son histoire, voire clôturait un chapitre.

Ce pays, dont la (re)construction fut encadrée par les Alliés au lendemain de la guerre, inscrivait dans sa structure et sa constitution les leçons tirées de son passé. Le refus de l’Allemagne de se positionner comme puissance militaire, et sa rigueur économique, en sont de parfaits exemples. L’austérité budgétaire allemande trouve ses racines modernes dans le traumatisme engendré par l’hyperinflation des années 1920, où la monnaie avait perdu toute sa valeur et une brouette de billets était nécessaire pour acheter une baguette de pain. Elle s’inscrit plus largement aussi dans une culture de sérieux budgétaire que certains font remonter à la Réforme luthérienne.

Sa mise en œuvre, quant à elle, s’exprimait dans la Loi fondamentale. Plus spécifiquement à travers la Schwarze Null, « le zéro noir », qui limite l’endettement des Länder à 0,35 % du PIB et qui se devait d’être l’assurance d’un pays économiquement stable. Aux yeux des pères de la République fédérale d’Allemagne, une économie stable était un premier rempart contre l’inflation et l’instabilité politique. L’histoire ayant démontré qu’ils ouvraient la voie au populisme, au nationalisme et, plus largement, au désespoir politique. Seulement, la montée fulgurante du parti d’extrême droite AfD (Alternative für Deutschland) démontre que cette austérité n’aura pas sauvé l’Allemagne.

Cette transformation du paysage politique s’accompagne d’une grande incertitude vis-à-vis des USA, qui assuraient jusqu’alors la sécurité militaire de la République fédérale. À quelques jours de l’entrée en fonction du nouveau parlement, les député·e·s de « l’ancien » Bundestag s’étaient empressé·e·s de voter une révision de cette Loi fondamentale qui devait adresser les défis que posent ces transformations.

Cette réforme, qui entend assouplir le frein à l’endettement que représente la Schwarze Null, était la première mesure de Friedrich Merz, nouveau chancelier, qui a certes réussi à faire voter une mesure avant son entrée en fonction, mais restera dans les annales pour être le premier chancelier à avoir échoué à être élu au premier tour au Bundestag.

Celui qui a permis un investissement de plusieurs centaines de milliards d’euros, grâce à la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros qui sera investi dans les infrastructures à travers des crédits, illustre à bien des égards ce nouvel ordre politique. Ce plan d’endettement allemand, marqueur de l’arrivée d’une nouvelle époque dans laquelle le pays se décide à reprendre sa défense en main en se distançant de sa dépendance vis-à-vis de son allié états-unien, aura aussi clôturé la stabilité politique de l’après-guerre. Ce revirement économique a été voté à la hâte, car toute modification de la constitution nécessite l’accord des 2/3 du parlement. Cette majorité ne pouvait être atteinte qu’avec l’ancien parlement. En effet, les résultats obtenus par l’AfD lors des élections du 23 février lui donnent une majorité d’opposition encore jamais vue. Cette nouvelle configuration du Bundestag est un marqueur supplémentaire de ces changements politiques que subit l’Allemagne, et qui l’éloignent encore plus de sa construction idéologique et institutionnelle de l’après-guerre. Évolution marquée par ce faux départ pour Friedrich Merz, qui subit de plein fouet l’éclatement du Bundestag, dans lequel les partis de gouvernement historiques que sont la CDU et le SPD ne peuvent plus assurer à eux seuls le bon fonctionnement du parlement et font face à une opposition bruyante et puissante.

 Ainsi, en l’espace de quelques mois, les changements qui se profilaient depuis plusieurs années sont devenus réalité. Qu’il s’agisse de la fin de l’organisation bipartisane héritée de l’après-guerre, du renoncement à l’orthodoxie budgétaire ou du repositionnement militaire, l’Allemagne affronte désormais les défis du XXIᵉ siècle en rompant avec le cadre hérité de la Seconde Guerre mondiale.

Lucille Niro

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