Les podcasts

#01 - Christine de Mazières

Nouveau format DenkKultur, le podcast est un entretien avec une personnalité culturelle franco-allemande. Auteure franco-allemande dans ses textes, Christine de Mazières a notamment écrit Trois jours à Berlin, Ed. Sabine Wespieser, livre dans lequel elle aborde la chute du Mur.

Madame de Mazières, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous, votre parcours professionnel et les liens que vous entretenez avec le franco-allemand ?

– Je suis née à Paris, d’un père français et d’une mère allemande et j’ai toujours vécu en France. J’ai cependant bénéficié d’une véritable éducation franco-allemande dans le sens où j’ai deux langues maternelles, ma mère a toujours parlé allemand avec ses enfants et j’ai eu la chance d’aller au lycée international de Saint-Germain-en-Laye durant toute ma scolarité. Cette éducation franco-allemande m’a passionné : le fait qu’il ait des mots intraduisibles, des expressions, des sentiments, des pensées qui peuvent s’exprimer dans une langue mais pas dans l’autre… Je pense que c’est un peu à l’origine de mon goût des mots et de l’écriture. Après mon baccalauréat, j’ai donc fait Sciences Po puis l’ENA. Au sortir de l’ENA, le 1er février 1989, j’ai donc choisi le bureau Europe au sein de la Direction des relations économiques extérieures du Ministère des Finances à l’époque. Le principal pays qui intéressait ce bureau était l’Allemagne et très rapidement, j’ai beaucoup travaillé sur les relations économiques entre nos deux pays. Assez vite, la chute du mur de Berlin est arrivée. Il se trouve que le Ministre du Commerce extérieur à l’époque était un Lorrain qui parlait parfaitement Allemand, Jean-Marie Rausch. Il était enchanté de pouvoir aller souvent en Allemagne et j’ai été sa conseillère pendant un an et demi après la réunification. Cela a été la seule fois où j’ai pu faire coïncider ma profession avec mon intérêt pour le franco-allemand. Après, je suis allée à la Cour des Comptes et j’y suis retournée il y a trois ans, suite à une période de dix ans dans le secteur privé de l’édition. J’ai développé beaucoup d’activités associatives dans le domaine franco-allemand pour nourrir cet engagement et cette passion que j’ai toujours eue. Il a d’abord eu une très belle rencontre, peu après la chute du mur, avec Brigitte Sauzay. A l’époque, elle était l’interprète des chefs d’Etats en français et allemand et traduisait tous les grands sommets. C’était une femme très intelligente, très sensible et très intéressée par l’Allemagne sans avoir de lien familial avec le pays. Elle a créé une première association que j’ai intégrée qui s’appelait “Initiative Paris-Berlin” où nous invitions des personnalités allemandes autour de dîners informels à Paris. En 1993, nous avons créé la Fondation Genshagen, plus particulièrement Brigitte Sauzay qui en était la co-directrice avec Rudolf von Thadden qui est un historien très connu. J’ai eu trois grands inspirateurs dans le franco-allemand, Alfred Grosser qui a été mon professeur à Sciences Po, Joseph Rovan avec qui j’ai travaillé au sein de son association qui s’appelait le Bild, le Bureau international de liaison et de documentation et Brigitte Sauzay. D’un point de vue de réflexion, j’avais publié deux essais : un livre d’entretien en 1995 avec Lothar de Maizière qui était le dernier chef du gouvernement de la RDA et le premier librement élu. Dix ans après, j’ai publié un petit essai avec une amie allemande qui s’appelle Babette Nieder ; “L’Europe par l’école” où on a essayé d’esquisser un programme proposant une école un peu plus multilingue, un peu plus européenne à travers l’apprentissage précoce des langues, en proposant notamment un programme d’échange de professeurs. Au-delà de ces deux essais, c’est assez tardivement que j’ai enfin osé assouvir une vocation assez ancienne qui était mon amour pour la littérature.

Justement, pourquoi était-il important pour vous aujourd’hui, 30 ans après la chute du mur, d’écrire et de revenir sur cet événement historique ? Etait-ce votre manière à vous de célébrer cet anniversaire ?

– En fait je n’ai pas pensé aux trente ans car je l’ai écrit bien avant mais cette chute du mur a été pour moi quelque chose de très marquant. Personne ne pouvait l’anticiper. Il y a cet étonnement incroyable et puis au-delà de ça, il y a la manière dont s’est passé cet évènement. Cette sorte d’acte manqué, cet événement que personne n’a décidé mais qui est un enchaînement de petits glissements et avec des répercussions immenses. Le fait qu’il n’y ait pas eu de sang versé était tout à fait étonnant… A un moment c’est sorti, notamment parce qu’au fil des années, j’étais par exemple invitée dans des lycées, pour parler aux jeunes générations de la chute du mur et je me suis rendue compte que c’était un événement très lointain pour cette génération, une sorte de préhistoire. Et je me suis dit qu’il fallait quand même le raconter, autant en Allemagne, on connaît bien cette histoire, autant en France, c’est quand même assez exotique. D’où l’envie de raconter cet événement en me concentrant sur ces trois jours pour avoir un précipité, quelque chose de très concentré et en même temps de très éclaté dans la narration. Avec une unité de temps et de lieu, je pouvais me permettre d’utiliser une quinzaine de narrateurs pour montrer que cet évènement a pu être ressenti et vécu d’une manière extrêmement variée. Le plus grand intérêt d’écrire c’est de pouvoir se mettre dans la peau de plein de personnages différents et là c’était un grand bonheur.

Pour l’écriture de votre livre, êtes-vous donc passée par des témoignages ?

– Anna, Micha et tous les personnages inventés sont vraiment inventés car cela m’offrait plus de liberté. En même temps c’est vraisemblable et le plus beau compliment vient de la part d’amis est-allemands qui m’ont dit “ah oui, c’était tout à fait ça ». Je me suis dit que je n’étais pas tombée à côté. J’avais très peur de leur verdict.

Concernant les références littéraires, musicales et cinématographiques présentes dans votre livre. Était-ce pour vous une manière de rendre hommage à ces figures de la culture allemande ?

– Oui, quand on écrit on puise dans ce qu’on aime et dans ce qui est important. Effectivement, le cinéma m’inspire beaucoup, “Les ailes du désir” est un film que j’ai adoré, sorti deux ans avant la chute du mur. C’est un film d’une liberté et d’une créativité incroyables même si parfois, des gens me disent ne pas bien le comprendre. C’est vrai que c’est un univers onirique. La musique joue un rôle très important pour nous tous car elle déclenche beaucoup d’émotions. Toutes ces références nous nourrissent. La lecture aussi, puisqu’il y a une scène qui parle de bibliothèque nationale, c’est une partie importante pour moi, mon amour de la lecture. J’ai choisi beaucoup de personnages en lien avec la culture.

C’est vrai qu’on apprend que l’ex-RDA était le pays qui lisait le plus au monde à cette époque là. Vous utilisez d’ailleurs le terme de Leseland. C’est une particularité présente dans votre livre, le fait de garder les mots originaux et d’accoler leur traduction en français. Vous accordez beaucoup d’importance au bilinguisme, est-ce qu’il y a des choses comme celles-ci, que l’on ne peut pas traduire ?

– Oui, j’aime bien utiliser quelques expressions allemandes. Aujourd’hui, dans bien des romans, on trouve des termes anglais, espagnols, les grandes langues mondiales surtout l’anglais qu’on ne traduit même plus. J’avais envie de parler allemand, parce qu’aujourd’hui c’est une langue rare, hélas. En tout cas en termes d’apprenants et j’avais envie de la faire sonner, de montrer les sonorités. C’était important pour ouvrir l’horizon des lecteurs. Beaucoup de lecteurs qui lisent “Trois jours à Berlin” s’intéressent à l’Allemagne, mais pas que. J’ai eu la chance d’aller dans beaucoup de lycées depuis sa parution et j’ai discuté avec de nombreux élèves. Effectivement, ça les intéresse, cette ouverture sur un pays qu’ils ne connaissent en général pas.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre deuxième roman intitulé “Sur la route des Balkans” et publié chez le même éditeur en 2020 ?

– “La Route des Balkans” aurait pu être dans le même livre que “Trois Jours à Berlin”. J’ai envisagé un moment qu’il y ait deux parties parce qu’au fond ce sont deux moments de tournant dans l’histoire européenne et deux moments de fraternité. C’est un moment de grande tragédie qui se déroule en été 2015 et qu’on appelle communément “la crise des réfugiés”. Et cela a également été un accueil, la “Willkommenskultur”, la culture de la bienvenue en Autriche et en Allemagne dès septembre 2015, qui n’a pas été comprise dans d’autres pays. Ce qui est bien dans la littérature, c’est qu’elle ne juge pas, elle raconte. Ce n’est pas un documentaire, ni un essai, c’est une histoire tellement compliquée qui reste une actualité brûlante mais c’est cette question de l’accueil de l’autre, de l’hospitalité, elle est au cœur des valeurs de l’Europe. Je parle donc de quinze jours, durant lesquels il y a eu cette tragédie de la gare de Budapest où sont retenues des milliers de personnes exilées. Tout à coup, leur départ à pied sur l’autoroute, leur renvoi par bus pendant une nuit, les tensions politiques entre la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne. Là encore on a une histoire qui touche un grand nombre de personnes et il y a une question de décision politique que je voulais interroger. C’est à nouveau un roman chorale, les personnages principaux sont deux jeunes réfugiés, Asma une jeune syrienne de 17 ans et Tamin, un jeune Afghan de 17 ans, qui se croisent en Hongrie. A partir de là, je raconte cette route depuis le départ de leur pays respectif et également une famille allemande à l’autre bout du chemin. Finalement l’Histoire allemande peut expliquer en partie les réactions qu’il y a eu, qui sont toujours une Willkommenskultur partagée par 80% de la population. Pour moi, c’est un sujet absolument primordial, très compliqué, mais qui doit être traité avant tout de manière humaine, par les valeurs. Ce n’est pas un livre à thèse, c’est vraiment de la littérature. A chacun de se faire un jugement. Là aussi, il y a la volonté de suivre très exactement la chronologie historique mais d’injecter quelques personnages pour permettre aux lecteurs de se mettre dans leur peau. Et là aussi, il y a quelques mots en allemand et ça se termine en musique.

Merci beaucoup pour vos réponses. Est-ce que vous êtes optimiste concernant la coopération franco-allemande aujourd’hui ?

– Oui. Je pense que la réconciliation franco-allemande est faite depuis bien longtemps et aujourd’hui il est devenu évident que rien ne peut avancer en Europe s’il n’y a pas une coopération entre nos deux pays. Travaillant dans la fonction publique, je parle d’expériences, il y a beaucoup d’échanges et une coopération même s’il y a des intérêts différents, des malentendus possibles. Il y a vraiment l’idée enracinée que c’est incontournable. Quand un nouveau chancelier est élu, comme cela a été le cas très récemment, le premier voyage est en France. Le soir même de la nomination du nouveau gouvernement en Allemagne, la ministre des affaires étrangères était à Paris. Le point un peu préoccupant c’est la langue puisque l’apprentissage de la langue du partenaire baisse dans les deux pays. Moi je suis optimiste car il y a cette volonté qui existe, je pense que depuis le Brexit, le tandem franco-allemand reprend de l’importance. Il ne doit cependant jamais être solitaire et doit s’entourer d’autres pays. Il faut trouver une coopération avec plusieurs pays et ne pas rester dans un face à face. Ce que vous faites est formidable, quand j’ai appris la création de cette DenkFabrik/DenkKultur, cela a nourri mon optimisme et mon espoir. Je vous soutiens à fond.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous justement aux jeunes qui s’intéressent à la coopération franco-allemande ?

– Vous avez raison, allez dans l’autre pays, voyagez et nourrissez tous ces contacts avec les autres pays en Europe. Parlez-en autour de vous. Les Allemands sont très francophiles, à l’inverse, c’est moins le cas. Les Français sont toujours merveilleusement bien accueillis en Allemagne. C’est différent et donc inspirant. Sans se limiter à l’Allemagne bien sûr, car l’intérêt de l’Europe, on dit “unis dans la diversité”, cette diversité c’est une grande richesse y compris le multilinguisme, donc oui, voyagez. Je vous encourage à persévérer, à rester en contact avec des amis allemands et à cultiver ses amitiés.

Notre dernière question, si vous deviez recommander un ou une auteur.e francaise et un ou une auteure allemand.e, quels seraient-ils ?

Un auteur de langue allemande contemporain que j’aime beaucoup est Robert Seethaler, auteur de “Der Trafikant”, “Ein ganzes Leben”. Il a beaucoup de succès en Allemagne. J’aime bien Natacha Apana, auteure française d’origine Mauricienne qui publie des choses très belles. On est très loin de l’Europe, plutôt dans l’océan Indien.

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