Littératur
Par Caroline
De la légèreté estivale des journalistes et des poètes lyriques
Ce sont les premiers jours d’été, de chaleur profitable, vous sentez les brins d’herbe venir se poser contre vos pieds, les prenez, les malmenez, les arrachez par poignées, comme pour symboliser votre retour. Puis vous partez, vous rentrez. Sur le chemin vous attrapez quelques fleurs de glycine, les glissez dans votre main gauche, la modelez en bec de cygne, et les laissez tomber en son creux. Vous reprenez votre activité, et vous pensez à vos fleurs, elles sentent bon, embaument la ville dès les premiers rayons, il faut renoncer à tout mouvement naturel qui vous pousserait à refermer vos doigts sur eux-mêmes. S’ils en décidaient ainsi, les doux pétales en perdraient leur forme, s’écraseraient contre votre épiderme, lâchant tous leurs sucs et leurs couleurs. Vous vous arretez un instant, le vent vous colle à la peau, vous sentez un liquide s’étendre sur votre réceptacle à pétales, vos doigts tellement attentionnés et vigilants ont produit un manteau de moiteur autour de leurs protégés. Vous entendez des voix, les voix d’été, celles d’une rue vide ensoleillée qui n’accueille d’habitude que de l’air léger, toujours plus forte et plus claires qu’à l’accoutumée, ces voix étrangères vous berceraient presque.
Voilà de quoi il s’agit, l’été, la douceur d’une saison faisant presque oublier ce qui était. Pourtant pour que cet été soit, il faut que demeure cette mélancolie omniprésente des saisons passées. En toute honnêteté, il s’agissait aux premiers abords d’étudier les amours et l’amour dans la littérature d’outre-Rhin, mais dans mes œuvres choisies, ces amours se manifestaient pour la plupart dans des paysages dénués de problématiques : des paysages dont les sons, les odeurs, les couleurs étaient à leur paroxysme. Je me suis alors questionnée sur ce que représentaient ces situations, ces paysages autour desquels gravitaient ces charmantes histoires où il s’agissait d’aimer.
Nos deux œuvres de ce mois-ci seront donc : Schloß Gripsholm. Eine Sommergeschichte, de Kurt Tucholsky, publié en 1931. Il s’agira ici de déceler ce qu’il en est du voyage idyllique que nous dépeint l’auteur (I), puis nous nous tournerons vers une sélection de poème tirés du recueil Das Buch der Bilder, de Rainer Maria Rilke, publié en 1902. Nous verrons dans ceux-ci, la façon dont un poète lyrique se plait à faire le détail du monde qui l’entoure. (II)
I. Schloß Gripsholm. Eine Sommergeschichte, une histoire d’amour à la temporalité limitée.
En vous présentant l’auteur Kurt Tucholsky de cette manière, je me risque à défaire ce qui contribue à l’écriture particulière de celui-ci : son passé non d’écrivain mais de journaliste (A). Une fois la présentation faites, nous irons alors vers une analyse simple mais déjà suffisante de l’œuvre (B).
A. Kurt Tucholsky : journaliste par conviction, écrivain par défaut
Kurt Tucholsky nait à Berlin le 9 janvier 1890 et meurt le 21 décembre 1935 à Götenborg. En cherchant sur la page Wikipédia de ce dernier, il peut être remarqué qu’il est d’abord présenté comme journaliste, avant d’être considéré comme écrivain. Mais alors qui était Tucholsky exactement ?
Tucholsky après son Abitur, commence des études de droit à Berlin en 1909. Cependant, ses études le mènent davantage vers la littérature, il fait au travers de ses voyages diverses rencontres, jusqu’à celle de Franz Kafka le 30 septembre 1911, qui le même jour, s’adonne dans son journal à brosser le portrait de Kurt : « Un homme de 21 ans, bien équilibré. Son comportement marqué par le balancement mesuré et ferme de sa canne qui, soulève d’un mouvement juvénile son épaule, s’accompagne aussi d’un contentement détaché et d’un dédain pour ses propres écrits. Il veut devenir avocat […] » Au fil de ses études, Tucholsky déjà très engagé dans le journalisme, se détache du droit et après l’obtention de son doctorat en 1913, parait son premier article dans l’hebdomadaire de critique théâtrale Die Schaubühne.
Il est intéressant de noter qu’en 1982 est organisée une lecture de Tucholsky sur France Culture pour la réédition de Schloß Gripsholm. Eine Sommergeschichte, à ce moment-là Tucholsky demeure encore inconnu sur la scène européenne, non seulement parce qu’il fut essentiellement prolifique pour ses articles, mais aussi parce que son langage est très difficilement traduisible. En effet, à de nombreuses occurrences, sont faits des jeux de mots reposant pour la plupart sur la langue allemande et la façon dont elle peut être, pour une même langue, prononcée différemment. Enfin, il est dit dans cette même émission que Tucholsky, bien qu’il ait pour modèle le très célèbre Heinrich Heine, qui était écrivain avant d’être journaliste, était tout l’inverse de Heine. Ainsi, même si notre auteur est aujourd’hui davantage reconnu en France, il me semblait important de rappeler son apport non seulement à la presse allemande, mais aussi à la littérature.
B. Une histoire d’été comportant cependant des rebondissements inattendus
Pas de surprises dans le titre de notre œuvre, il s’agit bien d’une Sommergeschichte, ainsi nous pourrions nous attendre à une histoire légère, d’autant plus que l’ouvre s’ouvre d’une manière assez originale sur un échange fictif entre Tucholsky et son éditeur, lui demandant de lui écrire „eine kleine Liebesgeschichte“. Ce à quoi Tucholsky répond assez ironiquement „In der heutigen Zeit Liebe ? Lieben Sie? Wer liebt denn heute noch?“. Pourtant la réponse ici n’est pas seulement là dans un but de faire rire le lecture et elle nous met sur la voix d’une histoire qui va au-delà du simple roman d’amour se concentrant uniquement sur les passions de ses personnages. Ce qui détermine en fait cette œuvre, c’est que Tucholsky s’attarde peu sur les passions si ce n’est même jamais, d’où le choix du titre par ailleurs, une histoire d’été n’est pas qu’une histoire d’amour. Il s’agit donc dans ce roman de raconter les péripéties de l’été passé entre nos deux protagonistes : Peter et sa compagne Lydia, dont les rôles sont peu définis dans un espace-temps autre que celui de cette pause estivale. On ne sait pas tellement comment ils sont, à quoi ils ressemblent et les seuls traits physiques donnés, le sont au milieu d’actions : „Und dann machte sie die Augen wieder zu. Und wieder auf.“ Le roman est donc divisé en cinq grandes parties et commence d’une manière assez légère puisque, nos deux héros s’en vont en Suède pour y passer leurs vacances. Nous pouvons retrouver cette légèreté dans les traits d’humour présents dès les premières pages : „Wenn die Leute in Deutschland an Schweden denken, dann denken sie : Schwedenpunsch, furchtbar kalt, Ivar Kreuger, Zündhölzer, furchtbar kalt, blonde Frauen und furchtbar kalt. “
Pourtant, l’œuvre va bien vite tourner autrement, notamment en premier lieu, au travers de la description des lieux. L’auteur s’adonne à une critique qui contribue à un moment de malaise toujours environnant. La description est brève, montrant une certaine difficulté pour Peter à accepter ce qu’il voit, cependant suffisante pour imager ce qui se dresse devant lui : „Stadt und Straßen… der große Tiergarten, der dem König gehört und in dem die wilden zahmen Hirsche herumlaufen und sich, wenn es ihnen grade passt, am Hals krauen lassen, und so hohe, alte Bäume…“. Parfois des remarques satiriques se développent, rappelant aussi que notre auteur est journaliste avant tout : „Die Welt hat eine abendländische Uniform mit amerikanischen Aufschlägen angezogen. Man kann sie nicht mehr besichtigen, die Welt – man muss mit ihr leben oder gegen sie.“ A partir de la troisième partie du roman, les éléments s’accélèrent, notamment quand nos héros font la rencontre de nouveaux personnages et échangent au sujet d’un mystérieux internat dans lequel des enfants y seraient mal traités. Nous passons alors presque dans un roman d’aventure dans lequel un réel objectif s’affiche enfin, qui surpasse celui de profiter de ces vacances. L’auteur lui-même joue de cela dans les comparaisons employées, puisque ce récit d’aventure est présenté comme un récit enfantin : „Wir liefen durcheinander wie die Indianer, wenn sie sich auf den Kriegspfad begeben“. Ce récit d’aventure est alors toujours entrecoupé de cette douceur et de ce calme environnant faisant bien de ce roman, malgré ses singularités, une histoire d’été. Enfin, on ne pourrait le concevoir comme une histoire d’amour à la vue de la durée de cette histoire d’amour toujours rappelée, et ce même à la fin de l’intrigue, on ne sait ce que cette histoire d’amour va donner. De plus rarement les personnages sont décrits comme possédant un amour passionné ou grandissant pour l’autre. C’est aussi là, toute la force de ce récit, de proposer une histoire d’été, une histoire d’amour avec quelques moments d’action, mais qui n’abime pas.
II. Das Buch der Bilder, une mélancolie omniprésente couvrant une joie soudaine
Avant d’analyser directement la poésie de Rilke, il s’agira dans un premier temps de voir comment Rilke compose sa poésie et dans quel moment de sa vie se place le recueil étudié (A), puis partant de ces observations, nous irons voir ce qu’il en est concrètement de la formation de la poésie dans ce recueil (B).
A. Rilke : un poète aux évolutions multiples
Rilke fait partie de la même période temporelle que Tucholsky, (vous verrez par ailleurs que je me fourvoie dans mes objectifs primaires qui étaient de discuter d’une œuvre contemporaine et classique, mais ces deux œuvres me semblaient bien se compléter). Il est ainsi né le 4 décembre 1875 en Autriche-Hongrie et est mort le 29 décembre 1926 près de Montreux en Suisse. Il est essentiellement connu en tant que poète lyrique, comme poète faisant expression de son intime et de ses sentiments et chez qui aussi le son, la musique tient une importance majeure. Cela nous rappelle l’origine du lyrisme, toujours lié à la lyre et au domaine musical. Rilke se présente comme le poète lyrique sans lyrisme, le poète musical silencieux.
Cependant, la poésie de Rilke n’a eu de cesse d’évoluer entre 1897 et 1926, les théoriciens séparant même dans l’œuvre de Rilke quatre périodes bien distinctes : 1897–1902 : Entwicklungsjahre ; 1902–1910 : Mittlere Schaffensperiode ; 1910–1919 : Innere und äußere Umwälzungen ; 1919–1926: Spätes Werk. La période à laquelle nous nous intéressons pour cette chronique est celle la Mittlere Schaffensperiode, cette période est marquée par l’arrivée de Rilke à Paris et sa rencontre avec de nombreux artistes allant de Cézanne à Rodin. La poésie de Rilke va ainsi se nourrir de ces rencontres et de cette façon nouvelle de voir la chose ou les choses que l’on essaye de faire transparaitre. Dans une publication datée de 2005 pour la revue Germanica et intitulée : « Le pouvoir de la musique selon Rilke », Fabrice Malkani écrit ceci : « tentant d’exprimer la fascination qu’exerçait sur lui la musique, Rilke l’a tout d’abord opposée à la peinture considérée comme modèle de création artistique. Selon Rilke, la musique « décompose » la réalité vécue pour la transformer en une vibration universelle rendant vaine toute volonté individuelle. L’art de Rodin, qui est d’emblée réalisation, est par là même l’exact contraire de la musique. » C’est dans cet objectif que se place notre œuvre : Das Buch der Bilder, dont le tire énonce déjà une prise de position de la part du poète
B. Échapper à la musicalité, une composante majeure des poèmes du recueil
En sélectionnant quelques poèmes du recueil, il émerge effectivement au sein des descriptions réalisées, une tendance à donner à voir une chose brute. Prenons par exemple le poème „Die Stille“, dans la première strophe nous pouvons lire ceci :
« Hörst du Geliebte, ich hebe die Hände –
hörst du: es rauscht…
Welche Gebärde der Einsamen fände
sich nicht von vielen Dingen belauscht?
Hörst du, Geliebte, ich schließe die Lider
und auch das ist Geräusch bis zu dir.
Hörst du, Geliebte, ich hebe sie wieder……
… aber warum bist du nicht hier. »
Rilke ici dépeint les sons du corps, cela en antithèse avec le titre du poème „die Stille“, dont on pourrait penser qu’il n’est question d’aucun son, mais il ne peut y avoir rien et rien, est déjà quelque chose. Alors ce rien, ce sont les sons bruts, sans fioritures, des corps : „es rauscht“ ; „das Geräusch“. Rilke met un point d’orgue à l’importance de ces sons, de ces mouvements auxquels la plupart ne font attention : „Welche Gebärde der Einsamen fänd/sich nicht von vielen Dingen belauscht ? “. Ces sons tout comme la musique au sens d’art consistant à combiner sons et silences au cours du temps, permettent eux aussi le souvenir, le voyage. Rilke ne veut pas passer par la musique pour faire musique, mais il cherche la musicalité dans tout ce qui est, afin ensuite de l’encadrer dans le mot, le vers, qui lui-même est vecteur d’une certaine symphonie.
Prenons maintenant un poème se passant dans une temporalité et un lieu similaire à ceux présenté dans l’œuvre de Tucholsky. Dans le poème „Abend in Skåne“ est dépeint un paysage de coucher de soleil à Skåne, province du sud de la Suède. Encore ici, la sonorité est incarnée par les divers éléments naturels et humains environnants :
„In den Wind,
denselben Wind, den auch die Wolken fühlen,
die hellen Flüsse und die Flügelmühlen,
die langsam mahlend stehn am Himmelsrand.“
Après cette première strophe de quiétude, néanmoins embarrassante puisque prenant place durant « die Dämmerung », Rilke se lance dans une gradation descriptive, presque sous forme d’hypotypose, le tout dénué de sons et seulement garni d’images représentées sous forme d’un tableau dont on en parcourrait, au fur et à mesure, les éléments le complétant :
„Ist das Ein Himmel?:
Selig lichtes Blau,
in das sich immer reinere Wolken drängen,
Und drunter alle Weiß in Übergängen,
und drüber jenes dünne, große Grau,
warmwallend wie auf roter Untermalung,“
Contrairement à Tucholsky, les éléments extérieurs chez Rilke sont source de bonheur, de rattachement au beau et à ce qui fait vivre, tandis que chez Tucholsky, les paysages bien qu’agréables ne permettent pas une libération de soi et ce sont les relations humaines qui le permettent. Néanmoins chez nos deux auteurs, coule continuellement entre les lignes, une incertitude constante.
A vos livres, bonne lecture
La littérature, une porte vers la compréhension de l’altérité
A propos du langage, Wittgenstein disait ceci : « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. »
Il est toujours courant chez ceux qui s’intéressent à une culture nouvelle de se demander : Comment penser l’autre ? Comment comprendre l’autre quand le langage est une barrière, un infranchissable, déterminant une vision imprécise de ce qui paraît devant nous ? Nous aspirons, à mes yeux, tous à une compréhension bien que différente mais complète au travers de l’art, première porte de ce qui est hors de nous.
Alors, quand on m’a proposé d’écrire mensuellement au sujet de la littérature allemande, j’étais enthousiasmée de partager un morceau de ce qui pouvait susciter un intérêt et une découverte de l’Allemagne. Cependant ma première crainte, fut qu’elle n’intéresse pas, ou peu. Il est vrai aussi que, qui peut se vanter d’avoir lu des œuvres allemandes, récentes ou classiques parmi ceux de ma génération ?
A l’heure de l’hégémonie culturelle anglo-saxonne, il me paraissait nécessaire de nager plus longuement à l’inverse des vagues pour en déceler chez nos voisins allemands : des textes, des fragments, des livres et des romans pouvant nous en apporter davantage que ce qu’ils n’en paraissent. Par la suite, vous donner, chers lecteurs, des pistes nouvelles hors des pensées omniprésentes du moment.
Pour regrouper les textes et choisir un corpus adapté, cela ne fut pas une mince affaire ; classiques ? modernes ? chez qui piocher ? des très lus ? des inconnus ? Puis enfin, j’ai décidé de fonctionner de telle manière : ces publications mensuelles regrouperont toujours deux œuvres de mon choix qui s’intégreront tant bien que mal dans une thématique plus générale. Parmi ces œuvres, une sera issue de la littérature plus classique, et l’autre du monde des auteurs contemporains, ainsi du XIXe à aujourd’hui et même demain.
Le thème de ce mois-ci, et vous m’en verrez désolée de rappeler mon titre (supra), est celui ainsi d’embrasser l’altérité. Par altérité, je n’entends pas forcément une différence culturelle seulement, mais bien tout ce qui n’est pas nous, alors l’autre comme sujet, autrui partageant ce monde. Cette thématique, notamment au travers des événements qui surgissent en ce moment, est majeure. Le confinement nous ayant tous affectés, nous retrouvant seuls, assis là sur nos sofas « en attendant Godot », la seule conversation possible fut alors pour beaucoup dans les livres et au travers des récits qu’ils ont su nous offrir. Ces conversations sont aussi venues me chercher, parfois elles furent ennuyeuses, d’autres riches, et d’autres encore énervantes, mais de mon jardin hétéroclite, je vous en ai sélectionné deux :
Ma première lecture concerne prioritairement les événements qui nous entourent, répondant ainsi à la célèbre phrase d’Auguste Comte : « Savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir ». Celle-ci s’intitule Ich Rede von der Cholera, et est un manuscrit de Heinrich Heine d’avril 1832, qui a été à nouveau publié récemment sous la forme d’un court récit chez Hoffman und Campe. Heine ici dépeint la crise du choléra qui a fait rage à Paris en 1832 en tant que correspondant allemand pour le Allgemeiner Zeitung. Ce court texte vaut le détour : non seulement pour les qualités stylistiques des articles de Heine, représentant le journalisme littéraire du XIXe, mais aussi à des fins de comparaisons avec la situation actuelle. Ce qui est admirable dans ce récit, c’est d’abord cette verve, cette fougue avec laquelle Heine dépeint cette crise. Les éléments s’enchainent, sont rapides, il s’agit d’expliciter ce qui se passe à Paris aux lecteurs du journal, et en peu de pages, de manière aussi précise que possible. Nous assistons alors à des scènes apportant une critique de cette crise et des réactions qu’elle entraine. Ces réactions qui, par ailleurs nous rappellent celles de notre époque : « Man sagt, auf dem Hotel de Ville seien seitdem über 120 000 Pässe ausgegeben worden. Obgleich die Cholera sichtbar zunächst die ärmere Klasse angriff, so haben doch die Reichen gleich die Flucht ergriffen».
Deuxièmement, il y a aussi des éléments plus intimes, qui y sont décrit par Heine, avec comme une certaine quiétude, une douce légèreté, peut-être pour montrer cette habitude à l’horreur qui s’installe: « « Wir werden einer nach dem anderen in den Sack gesteckt ! », sagte seufzend mein Bedienter jeden Morgen, wenn er mir die Zahl der Toten oder das Verscheiden eines Bekannten meldete ».
Parfois aussi Heine se plait à représenter de manière romantique les perdus de cette crise et on pourrait ressentir aussi qu’il fait allusion à sa propre condition, lui qui une fois en France a toute sa vie ressenti la nostalgie de l’Allemagne : « Bei andern erwachte plötlich ein unendliche Sehnsucht nach dem teuren würdigen Rheins, nach den geliebten Bergen, nach dem Holdseligen Schwaben, dem Lande der frommen Minne, der Frauentreue, der gemütlichen Lieder und der gesünderen Luft. »
Je n’analyse pas davantage le récit, vous laissant la joie de la découverte. Simplement, que tirer de cette lecture par rapport à notre thème initial ? Il faut pour cela aller chercher du côté de l’incompréhension, mais aussi peut-être de la peur lors d’une crise. Quoi de mieux alors qu’une analogie avec un élément du passé, non seulement pour comparer, mais aussi comprendre ! Comprendre que ce qui nous arrive est déjà arrivé, que nos comportements, bien que nouveaux, sont purement humains. Il restera des stigmates de cette crise, comme de celle de 1832, et que tous auront alors des visions à donner et des paysages à écouter.
Ma seconde lecture porte davantage sur le dialogue au sein de la littérature. J’ai choisi pour cela, le recueil de textes courts intitulé Kaffee und Zigaretten de Ferdinand von Schirach et publié en 2019 chez Luchterhand. Ce recueil autobiographique se découpe en 48 textes brefs, nous montrant des éléments de la vie de l’auteur et évoquant en majeure partie, bien qu’implicites, les étapes de sa dépression. Ce livre a fait surgir bien des débats. En effet, celui-ci se place en retrait des récits que pouvait nous fournir Schirach habituellement. Nombreux sont ceux qui n’ont pas su trouver satisfaction dans ces nombreux textes brefs. Il me semble néanmoins que ces textes sont tels un travail d’orfèvre, tous ont une place, une valeur bien déterminée et contribuent aussi à la compréhension de l’auteur qui a cherché à s’exposer dans un exercice autobiographique. Cela nous rappellerait presque l’exercice des Tropismes de Sarraute.
Schirach aborde des thèmes variés, parfois personnels, mais souvent liés à des enjeux bien réels de notre temps. Nous passons ainsi de textes abordant, par exemple, les capacités de synesthésie de l’auteur dès son plus jeune âge : « Er glaubt, die anderen Kinder würden das Gleich sehen, das Wort Synästhesie lernt er erst viel später. », à des textes touchant à des sujets plus généraux et moins intimes comme l’influence qu’à le langage sur nos actions : « Es ist die Sprache, die unser Bewusstsein verändert ». Malheureusement le temps me manque pour dresser un tableau de tous les sujets traités, mais c’est une vraie relation qui se fait avec l’auteur dans ce recueil, telle une discussion traitant de sujets variés et laissant place à la réflexion. L’écriture de Schirach contribue aussi à cela, il arrive, par des phrases très plates, à décrire si justement ce qui parait à lui. C’est au fond la force de ce recueil, de nous permettre de nous retrouver avec l’auteur, mais aussi avec nous-même face à des sujets dont les réponses ne peuvent être que complexes. Schirach nous ouvre la voie à l’interrogation. Il ne fait que signaler le tropisme, ou les tropismes, sans trop les expliciter. Ou bien donne un avis personnel. Mais le travail reste pour nous, lecteurs, d’apporter notre pierre à l’édifice, de rechercher ce qui fait problème dans les thématiques abordées par l’écrivain.
Alors si l’altérité doit être comprise dans un livre, non seulement l’altérité de l’autre, mais aussi l’altérité d’une pensée allemande, parce qu’elle s’attaque à des notions que nous français ne possédons pas comme le Zeitgeist, ou le Heimat, c’est bien dans ce livre qu’elle peut être puisée. Schirach, c’est un questionnement sur le monde, sur nous-même et sur nous tous qui formons cet ensemble, qui faisons corps.
La révélation de ce que nous vivons, de ce que nous sommes et de ce qu’est l’autre, par les mots, voilà la voie, la vraie, à vos livres !